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Kermit Lynch, l'ami américain des vins français

" Amoureux de grands bourgognes mais installé près de Bandol, c’est l’importateur de vins hexagonaux le plus influent des États-Unis. Dans un marché secoué par les taxes Trump, il revient sur 50 ans de passion.


Kermit Lynch. Ce nom ne dira peut-être rien à la plupart des lecteurs. Mais prononcez-le dans le monde du vin français et les yeux s’illuminent (ou les mains commencent à trembler, c’est selon). À 83 ans, cet homme discret est un amoureux des vins hexagonaux et est l’un de leurs principaux importateurs au pays de l’Oncle Sam, à peu près aussi influent que le fameux critique Robert Parker et, à la différence de ce dernier, toujours en activité.

Depuis les années 70, il sélectionne, convoie et distribue aux États-Unis quelques-unes des plus belles bouteilles françaises, d’abord dans sa petite boutique à Berkeley, en Californie, puis dans tout le pays via l’entreprise qu’il a créée. Dans son portefeuille de domaines, les Bourguignons Roulot ou Coche-Dury, les Alsaciens Ostertag ou Albert Boxler, les savagnins jurassiens de Ganevat, plus près de nous parmi les maisons les plus réputées du Rhône (Jamet, L’Anglore, Le Vieux Télégraphe…) et de Provence (Hauvette, Clos Saint-Magdeleine, Clos Saint-Joseph…). En tout, plus de 1 200 références françaises, auxquelles il a ajouté, au fil de ces dernières années, quelque 260 bouteilles italiennes.

À la fois respecté, craint et courtisé, le Californien vit désormais une grosse moitié de l’année dans une villa des alentours de Bandol, un terroir qu’il affectionne particulièrement et dont il distribue de nombreuses propriétés aux États-Unis (Tempier, Terrebrune, La Tour du Bon, Le Gros’Noré).

Pour La Provence , et autour d’un joli vermentinu du Clos Canarelli (l’un de ses huit fournisseurs corses), il a accepté de sortir de son habituelle réserve médiatique pour nous en dire plus sur sa passion pour un vignoble français qu’il continue à sillonner à la recherche de nouvelles pépites.


Comment en êtes-vous arrivé à devenir l’un des principaux importateurs de vins français aux États-Unis ?


J’ai consacré autant de temps et d’énergie à sélectionner et à perfectionner ma connaissance des vins en France qu’à les vendre aux États-Unis. Perfectionner ? Par exemple, j’ai constaté que de nombreux vins subissaient des chocs entre la cave du vigneron en France et mon entrepôt à Berkeley. Ils étaient soit en mauvais état, soit légèrement cuits pendant le transport. C’est pourquoi j’expédie désormais tous les vins, quel que soit leur prix, dans des conteneurs réfrigérés, de porte à porte. Cela a un coût mais qui, au final, en vaut largement la peine. Autre exemple : mes dégustations m’ont révélé que la filtration nuisait à de nombreuses bouteilles. La filtration peut rendre un vin à l’origine rond et harmonieux plus anguleux et un vin charnu plus austère. La filtration ne fait pas la distinction entre le bon et le mauvais. Elle peut éliminer les deux. J’ai donc commencé à demander que mes sélections soient mises en bouteille sans filtration.


Mais pourquoi cette spécialisation dans les vins de France quand tant de vignobles existent dans le monde ?


J’ai apprécié de nombreuses bouteilles californiennes et italiennes et je ne les considère pas comme inférieures aux vins français. Mais quand on se demande si un vin est meilleur qu’un autre, il faut aussi se demander : meilleur pourquoi ? Pour ma part, j’ai trouvé la culture viticole française plus intrigante. Même si c’est sans doute moins vrai aujourd’hui parce que les vins français sont désormais presque tous élaborés par des œnologues et non plus par des vignerons.


Vous vendez des vins européens aux États-Unis. L’administration Trump semble jouer au yo-yo avec les menaces de taxation. Comment vivez-vous avec cette incertitude ?


Pour l’heure, il est impossible d’anticiper les menaces tarifaires. Actuellement, le taux est de 10 % ( l’entretien a été réalisé le 8 juillet, NDLR ). Sera-t-il de 20, 30, 50 ou 200 % ? À 10 %, nous avons trouvé une solution pratique : un tiers payé par le producteur, un tiers par moi-même et un tiers par une légère augmentation du prix aux États-Unis.


C’est faisable et relativement indolore. Mais on devrait aussi parler du prix de l’euro, de l’inflation ou encore de la rhétorique anti-alcool très virulente aux États-Unis. Et le réchauffement climatique qui vient s’ajouter à tout cela.


Plus généralement, la filière viticole est en crise : déconsommation, réchauffement climatique. Comment voyez-vous l’avenir du vin ?


Je pense que de grands changements doivent être opérés pour faire face à l’élévation des taux d’alcool causée par le climat. Chaque vigneron devrait avoir plus de liberté pour expérimenter et trouver des solutions. Mais l’INAO ( l’Institut national des appellations d’origine, qui gère les cahiers des charges des AOP françaises, NDLR ) et des mentalités étroites font obstacle au progrès. Pendant des siècles, les raisins français ont été récoltés dans une bonne partie du pays avec un degré d’alcool compris entre 9 et 12° et la chaptalisation a permis de produire de grands vins, des siècles de grands vins !


Aujourd’hui, peut-être après que le palais de Parker a régné en maître, la règle du "plus c’est mûr, mieux c’est" persiste. Moi, je recherche des vins à faible teneur en alcool et j’en ai récemment dégusté beaucoup dans le sud de la France, avec une teneur en alcool de 14° ou moins. C’est possible et cela peut être bien fait. Les vins doivent être buvables !


Vous avez choisi le Var et la région bandolaise comme principal port d’attache, pourquoi ?


J’ai passé mes neuf premières années dans la vallée de San Joaquin, en Californie, une vaste région agricole alors couverte d’oliviers, de figuiers et d’interminables rangées de vignes. J’ai passé les huit années suivantes non loin de l’océan Pacifique. Est-ce pour cela que je me suis senti autant chez moi sur la côte méditerranéenne ? En 1986, j’ai acheté une maison non loin de Bandol afin de travailler six mois ici et six mois à Berkeley, en Californie, où est basée ma société. J’aimais le paysage, la baignade, la cuisine et certains de mes amis préférés vivaient non loin de là : Richard Olney ( écrivain culinaire américain, NDLR ) vivait à Solliès-Toucas. Il a écrit deux excellents livres sur Yquem et la Romanée-Conti ( célèbres domaines de Sauternes et de Bourgogne, NDLR ), Lucien et Lulu Peyraud, du domaine Tempier ( au Castellet, NDLR ). Je voulais vivre en Provence et je pensais qu’il était important d’avoir des amis à proximité. "


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