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Jean d'Arthuys, des vins et des voiles

Homme de média et de marques, Jean d'Arthuys est aujourd'hui néo-vigneron tout en développant son réseau de coworking Yourdesk. Copropriétaire depuis 2021 du domaine de Terrebrune à Bandol, il a pris le temps de se lancer dans l'Ocean Globe Race, mythique course autour du monde en équipage, avant de racheter cet été le château de Vinzelles en Bourgogne.
Comment passe-t-on d'homme de média à homme du vin ?
Le vin était une passion personnelle, en parallèle de ma carrière professionnelle. Avec, comme point commun, la compréhension d'un secteur et d'un business. Que ce soit une marque de média, de vin, de football ou de soutien-gorge – j'ai dirigé durant deux ans Maison Lejaby –, il s'agit toujours de définir un produit, le meilleur possible, de choisir un circuit de distribution, de travailler un business model avec le marketing et la communication.
Je suis avant tout un homme de marques qui s'intéresse au produit, à sa fabrication et à la façon de le faire connaître. Mais j'ai aussi voulu passer un certificat de viticulture et d'œnologie à l'Université du Vin de Suze-la-Rousse pour acquérir les grandes notions des métiers de la vigne et de la cave. Pour les équipes, il était important que je sache de quoi on parle.
Quels sont vos premiers souvenirs liés au vin ?
Mon père a appris tôt le vin à ses enfants. Il nous faisait toujours goûter ceux qu'il allait servir à ses copains qui venaient dîner à la maison. Le premier qui m'a vraiment marqué était un margaux Bel Air Marquis d'Aligre, un vin atypique au milieu des grands châteaux du Médoc. Ma famille était du Gers, et on a été biberonné aux bordeaux. J'ai aussi complété mes connaissances quand j'ai dirigé pendant deux ans les Girondins de Bordeaux.
C'était à la fin des années 90, une bande de vignerons voulant à tout prix sauver le club de leur région s'étaient tournés vers le groupe M6, dont le conseil d'administration était constitué de grands noms du vin comme Jean-Louis Triaud (Château Gloria), Jean-Michel Cazes (Château Lynch-Bages), Emmanuel Cruse (Château d'Issan Margaux), Frédéric Engerer (Château Latour)… On buvait tous les jours ces grands vins au restaurant du club.
Comment avez-vous choisi les domaines que vous avez visités lors de votre tour de France des vignobles ?
J'allais frapper à la porte des vignerons dont j'avais aimé le vin. Comme chez Eloi Dürrbach à Trévallon, dans Les Baux-de Provence, et Alain Graillot, dans la vallée du Rhône nord. J'ai gardé le souvenir de gens passionnés, et ces moments m'ont convaincu de poursuivre les visites dans quasiment toutes les régions. J'ai sans doute bu plus de rouges, mais je suis aussi un inconditionnel des grands chardonnays de Bourgogne, des vermentinu de Corse et des vieux rieslings d'Alsace.
Faut-il s'entourer de grands investisseurs pour acheter un domaine ?
Je me suis toujours débrouillé seul capitalistiquement, avec des partenaires fidèles comme Banque Populaire et Caisse d'Épargne, des banques mutualistes qui connaissent bien ces métiers et ces territoires. Après une dégustation de plusieurs heures avec Reynald Delille à Terrebrune et Françoise de Lostende à Vinzelles, ça a été une évidence, un coup de foudre, même s'il restait beaucoup de détails à valider.
Avec un grand terroir, pas besoin d'être interventionniste, il faut juste être minutieux, attentif à la vigne et appréhender le bon moment, car tout peut se jouer en quelques heures. On peut faire un mauvais vin sur un grand terroir, mais pas l'inverse. Et les vins se révèlent encore plus extraordinaires quand les paysages le sont aussi. Le décor toujours participe à la magie, comme à Terrebrune, face à la mer, et à Vinzelles, perché à 400 mètres d'altitude, près de la roche de Solutré.
Allez-vous aussi miser sur l'œnotourisme pour développer ces pépites ?
Bien sûr, car l'œnotourisme peut répondre à la demande de la jeune génération qui boit moins mais mieux, qui veut apprendre et comprendre. Je crois en la pédagogie du vin, et nous avons beaucoup de choses à raconter : ça fait mille ans que l'on fabrique du vin à Vinzelles – un mot qui veut dire « vignes » en latin – et l'on y trouve toujours les plus vieux pressoirs de France, qui datent du XVIIe siècle. On réfléchit à un projet avec des partenaires hôteliers. À Terrebrune, j'aimerais des écolodges haut de gamme intégrés aux restanques.
N'est-ce pas un pari osé d'investir dans le vin actuellement ?
C'est osé, risqué et pas raisonnable, surtout dans un contexte de déconsommation où je pense que seuls survivront les vins de grande qualité et respectueux de leur environnement. Ça me rend fou de voir le développement du Dry January et de constater que les vignerons sont écrasés par les taxes, les interdits, la politique hygiéniste et la paperasserie.
Mais ça ne me décourage pas de constituer une collection de pépites que j'aime, des vins qui reflètent des histoires de famille. Bordeaux est trop cher, je préfère trouver une petite appellation à hisser sur le podium plutôt qu'essayer d'émerger parmi des milliers de propriétés. Pourquoi pas un jour me pencher sur un cru du Beaujolais, même si la région souffre toujours d'un plafond de verre à cause du beaujolais nouveau ?
Faire le tour du monde en équipage sans assistance technique était aussi un sacré défi. Vous en rêviez depuis longtemps ?
Cela faisait plus de 30 ans ! J'avais attendu Olivier de Kersauson à la sortie des Grosses Têtes de RTL pour lui demander d'effectuer le tour du monde avec moi. À l'époque, la course s'appelait « Whitbread ». Il m'a dit : « Vas-y, trouve un budget ! » J'ai échoué de peu à dénicher un sponsor pour la construction d'un bateau, ça nécessitait un budget considérable, mais il m'a quand même embarqué comme équipier sur Charal, au début des années 90, pour le Trophée Jules Verne. Depuis, on est restés en contact.
Quand la course a été relancée en 2023, j'ai pensé que je devais la faire absolument et j'ai tout assumé avec mes économies. Olivier a tenté de me décourager en prétendant que, sur un bateau de 17 mètres comme Triana, c'était comme jouer à la roulette russe. Mais il est quand même venu m'encourager la veille du départ en m'invitant à partager avec sa filleule, Marie Tabarly, un grand bourgogne blanc.
Fait-il partie de vos copains amateurs de vin ?
Kersauson est en effet un grand amateur. Il a même reconnu à l'aveugle de vieux millésimes de Terrebrune. Quand il réside dans son manoir du Conquet, au bout du Finistère, je lui apporte des rosés de Bandol qu'il affectionne particulièrement. Parmi mes amis qui aiment le vin, il y a aussi les frères Beigbeder, mes copains de M6 Emmanuel Chain et Nicolas de Tavernost, ainsi qu'Arnaud de Montebourg, qui vient quasiment en voisin à Vinzelles.
Pour l'aventure du trimaran SVR-Lazartigue, en compagnie de François Gabart et Tom Laperche, on a organisé tout un week-end à Saint-Tropez en dégustant de grandes cuvées de Terrebrune. Le quadruple médaillé olympique Léon Marchand et son père nous ont rejoints pour l'occasion.
Avec quelles bouteilles avez-vous fêté le passage du cap Horn et l'arrivée de la course ?
Pour le franchissement du cap Horn, là où, selon la légende, le diable est enchaîné au fond de l'océan et essaie de se libérer en faisant trembler les flots, nous avons débouché un Terrebrune rouge 2014. Bu sous la grêle dans une véritable lessiveuse, on n'en a pas vraiment profité. Quant à la victoire à Cowes, un port mythique sur l'île de Wight, elle s'est fêtée à la bière. À mon retour, avec la famille et les amis, on s'est rattrapés en ouvrant un mathusalem de Terrebrune 2010.
Nous avions aussi chargé une caisse de Terrebrune dans les cales pour une expérience de dégustation, mais les œnologues qui ont goûté ces vins à l'arrivée, en comparant avec les mêmes cuvées restées à terre, se sont tous trompés. Le vin est indépendant, vivant, il réserve toujours des surprises.
Faut-il des qualités communes pour faire le tour du monde à la voile et être vigneron ?
Ce sont deux activités qui apprennent certaines valeurs essentielles, en particulier le respect du temps long. Ça change du quotidien où l'on exécute 50 trucs superficiels à la minute sur son téléphone. Quand on fait la course pendant huit mois à la vitesse de huit nœuds, c'est la nature qui décide, de la même manière que c'est elle qui décrète que le pied de vigne va mettre huit ans pour faire un Bandol. Tu ne passes pas en force le cap Horn et tu ne composes pas un millésime sans respecter la nature.