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Un jour à Bandol

   " Le vin est-il de l’art ? L’idée est souvent contestée. Avant de devenir objet de spéculation, le vin fut populaire. On pense au vin de comptoir, aux tonneaux des bistrots dans La Traversée de Paris. Le jaja, le picrate, le pif : quelle autre boisson collectionne autant de sobriquets colorés ? Monsieur Duboeuf, encore un verre de Pisse-Vieille, s’il vous plaît !

   Tout de même, le grand vin peut-il tutoyer l’art ? Un vigneron m’a répondu : « Oui, je le crois ». Nous étions en Provence, sur les hauteurs d'Ollioules. Reynald Delille se tient là, sur ses collines de Bandol. Au domaine de Terrebrune, il élabore et fait vieillir un nectar. « Oui, pour moi, le vin est de l'art. Je ne le soutiens pas, je m'en aperçois », glisse-t-il, malicieux.

   Dans la maison qu’il occupe avec sa femme Ghislaine, face aux Embiez, Reynald vit entouré d’artistes. Sur les murs, au sol, partout, des peintures et des céramiques. Les oeuvres du Nîmois Auguste Chabaud, fils de vigneron, fauviste puis cubiste, qui quitta les cabarets enfumés de Montmartre pour revenir peindre les Alpilles. Le Marseillais Jean Arène, publicitaire et décorateur, souvent exposé à Uzès et Aix-en-Provence. Le peintre, céramiste et verrier Jean-Paul van Lith. Installé à Biot, il est l’ami de Reynald et fête ses soixante ans de carrière. Michel Dufresne, de La Seyne-sur-Mer. Et Jacky Catoni et ses personnages de cirque. II était le fils de Maurice Catoni, propriétaire du célèbre restaurant Le Caribou, à Marseille.

 Nous marchons dans les vignes, sur les argilo-calcaires du Trias. Voilà le Lançon, le Jas, la Tourelle. Et puis enfin le secteur de Terrebrune, la couleur particulière de son sol. La lumière de la Méditerranée nous enveloppe.

   Alors Reynald, le vin et l’art ? II réfléchit. « Une grande oeuvre vous emporte. Eh bien, c'est pareil avec le vin : c’est la liberté qui est fondamentale », finit-il par lâcher. C'est-à-dire, Reynald ? « Le vin est un parcours. Il faut l’étudier, le comprendre. Il ne doit pas d'imposer par la force. II doit laisser toute liberté à celui qui le goûte. Alors, le positif devient transcendant. Voilà le lien avec l’art. » II poursuit : « Il faut aussi se garder du mental. Quand on vieillit, on devient trop cérébral. Or, tout nous dépasse. Le vin aussi. Il faut savoir laisser passer».

   Comme avec tous les vignerons, arrive le moment. La descente en cave. Alignements des foudres, murs de vieux millésimes dans les alcôves. Reynald démarre par les blancs. Un 2020. L'alliance subtile des extraits secs, les beaux amers. La sucrosité-salinité qui enrobe : Reynald n’aime guère les vins trop minéraux. Ah ! voilà les rouges. II ouvre 2007. Un éblouissement. Je relis mes notes, un seul mot sur mon carnet : « Magnifique ! ».

   Nous goûtons debout dans la cave. Les millésimes défilent. On le sait, on le sent, on vit un grand moment. Nous avions goûté 2015 et 2011 la veille au dîner, voilà 2004. Puis l’étincelant 2001, son opulence ourlée après vingt-deux années immobiles dans la bouteille. 1998 et sa tension souveraine, sa suavité. Reynald disparaît régulièrement dans une galerie de la cave puis réapparaît, les bras chargés. 1985. Puis le millésime 1980, l’énergie folle dans un vin apaisé, digeste. « C’est la liberté qui, en se transformant, nous donne de l’émotion », répète Reynald.

   Dans une anfractuosité de la cave, sur la roche nue, une statuette nous regarde. C’est saint Vincent. Une céramique de Jean-Paul van Lith. Reynald Delille s’amuse maintenant, le voilà qui sort ses rosés. Quel vigneron ouvre des rosés après quatre décennies de grands rouges ? II sert 2022,2019 et 2010.

   Bon sang, ce 2010... Ses parfums, son allonge, sa tenue, il est prodigieux. Et là, après ces vins partagés, après le vent des collines, les pas dans la vigne, après le chant de l’orgue surpris dans l’église d’Ollioules, en humant ce rosé de 1990, cette grande expression de mourvèdre, on comprend.

   Oui, le vin peut être de l’art. Merci Reynald Delille. Merci Terrebrune. Merci Bandol. Belles dégustations ! "


« Longtemps, le vin fût populaire. Le jaja, le picrate, le pif... Peut-il aujourd'hui être de l'art ? »


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